Elise Rieuf 1897-1990


Autoportrait vers 1920

1897 : Naissance d’Elise Rieuf à Massiac (Cantal)

1914-1918 : Ecole des Beaux Arts de Clermont-Ferrand

1919-1922 : Préparation du professorat de dessin à Paris. Rencontre avec Marguerite Jeanne Carpentier à l’Académie Lacaze. Elise Rieuf intègre le groupe de jeunes artistes femmes qui ont choisi M.J.Carpentier pour Maître.

1927-1930 : Elise Rieuf épouse l’architecte Paul Veysseyre et séjourne en Chine. Dans les rues de Shanghai et la campagne environnante, elle accumule une œuvre considérable qu’elle rapporte en France lorsqu’elle se sépare de son mari.

1931-1960 : Postes de professeur de dessin dans diverses villes. En 1937 à St Cloud, puis à Paris au Lycée Molière.

1950 – 1957 : Rédaction de la « Leçon des Maîtres », une longue réflexion pleine d’intérêt sur le métier de peintre : sur le dessin, les valeurs et le modelé, la couleur, la ressemblance. Rédaction du roman «  Sur les Eaux de la Chine ».

1960-1987 : Elise Rieuf prend sa retraite à Aix-en-Provence et consacre tout son temps à la peinture, à l’écriture, à la musique et aux voyages qu’elle aime tant.

1987-1990 : Elise Rieuf finit ses jours à la Maison de retraite de sa ville natale, Massiac. Malgré son grand âge, sa correspondance et ses derniers carnets de dessin témoignent d’une vitalité intellectuelle intacte.

En 1993 Le Musée municipal Elise Rieuf de Massiac est inauguré par Mr.Zhu Qishan, attaché culturel de l’ambassade de Chine à Paris et le Dr Saintigny, maire de Massiac.

2010 – Shanghai – Le Musée Xu Hui accueille 64 œuvres d’Elise Rieuf à l’occasion de l’Exposition universelle.

Une vocation précoce et irrésistible :

Dès son plus jeune âge Elise Rieuf observe et dessine : les cornettes des religieuses qui lui font le catéchisme, ses compagnes de classe, les animaux familiers de la maison etc.

Son père, Antoine Rieuf, est ingénieur des travaux publics. Esprit ouvert et curieux, il se passionne pour les débuts de la photo. Il correspond avec les frères Lumière et avec Camille Flammarion. Il constitue une intéressante collection de minéraux et silex taillés et fonde, avec J.B.Rames, Marcelin Boulle et quelques autres, le musée d’Aurillac. Il approuvera et soutiendra la vocation d’artiste d’Elise.

Sa mère, Marie-Louise Rieuf, est originaire d’une modeste famille de Marvejols, dont les enfants sont tous sortis du rang. L’aîné Basile, ingénieur au Portugal, puis au Brésil, termine sa carrière comme Ingénieur des Ports et Phares d’Egypte. Il coopère à la création à Paris de l’Ecole Eyrolles, devenue Ecole des Travaux Publics. Son frère Charles est proviseur du Lycée de Foix, un autre de ses frères travaille au Canal de Suez et le cadet est agrégé de mathématiques.

Elise Rieuf contracte très jeune le goût des voyages qui sera une dominante de sa vie. Elle a une dizaine d’années lorsque son oncle Basile l’emmène en Egypte. (photo 1. Elise Rieuf en Egypte)

Après avoir fait l’Ecole des Beaux Arts de Clermont-Ferrand, elle part à Paris, à la fin de la 1ière guerre mondiale, pour préparer le professorat de dessin.

La rencontre avec Marguerite Jeanne Carpentier

A l’Académie Lacaze Elise Rieuf rencontre Marguerite Jeanne Carpentier, peintre, sculpteur et graveur, qui vient de temps en temps y enseigner. M. J. Carpentier a fait partie d’une des premières promotions admises lors de l’ouverture des Beaux Arts de Paris aux femmes et fera partie des praticiens de Rodin jusqu’à la mort de celui-ci en 1917.

Elise Rieuf va devenir une assidue de son atelier du 4, rue de la Source à Auteuil. Là, elle rencontre les membres de « la bande à Rodin » qui se retrouvent les uns chez les autres après la mort du Maître : les modèles comme Isadora Duncan, Loïe Fuller, les sculpteurs Bartholomé, Pompon, Escoulas, le peintre Forain etc. Ambiance exaltante pour la jeune artiste. Une trentaine de jeunes femmes, qui l’ont choisie comme mentor, fréquente l’atelier de M.J.Carpentier. Elles forment ce qu’on appelle aujourd’hui le « Groupe d’Auteuil » : la première école de femmes peintres indépendantes de la tutelle masculine de l’histoire de l’art. (photo 2 L’atelier d’Auteuil 1920)

Les liens entre Elise Rieuf et Marguerite J.Carpentier persisteront leurs vies durant, avec des hauts et des bas, car elles ont des caractères très affirmés l’une et l’autre. Voici ce qu’Elise écrit en 1980 sur son maître dans une lettre à son neveu Charles Rieuf :

« Le dessin de Carpentier est toujours juste, le volume parfait, bien que créateur, et elle excelle dans le modelé, d’une sensibilité aiguë de sculpteur. Sa couleur est sobre, souvent austère. […] Elle nous lègue une œuvre profondément originale. […] En l’admirant on ne peut que penser à Rubens, qu’elle plaçait si haut, à Delacroix et à quelques autres très grands d’un autre siècle. Elle est de cette lignée. » (photo 3 Portrait de Carpentier par Elise Rieuf, huile)

Premiers postes

Titulaire de ses diplômes, 1ier et 2ième degré d’enseignement du dessin, Elise Rieuf demande un poste au Lycée français de Düsseldorf. Elle y reste un an. De ce séjour datent quelques belles aquarelles : Hambourg, Canal en Hollande (exposées au Musée municipal Elise Rieuf à Massiac). (photo 3 Hambourg)

Elle enseigne ensuite à Agen.

La Chine

En 1927, Elise Rieuf fait la connaissance de Paul Veysseyre, en congé en France.

Paul Veysseyre est architecte. Il est établi à Shanghai depuis 1922, associé à André Léonard. Les deux hommes ont remporté le concours pour la construction du Cercle sportif français, considéré à l’époque comme la perle de l’Extrême Orient et qui sera la résidence shanghaienne de Mao Ze Dong. Les projets et les chantiers ont ensuite afflué pour eux dans la Concession française. C’est donc auréolé de ces succès qu’il rencontre Elise Rieuf.

Le coup de foudre est réciproque : après quelques entrevues, fiançailles et mariage s’enchaînent rapidement et en novembre 1927 Elise Rieuf s’embarque pour la Chine.

Dans un roman à forte connotation autobiographique, « Sur les eaux chinoises » (1957), elle évoque ce que furent les trois années passées en Chine : dépaysement et émerveillement, amour passionné et désillusion, aspiration à la liberté et affirmation de sa personnalité.

Dépaysement : elle ne parle ni anglais ni chinois et doit gérer, loin des siens, une nombreuse domesticité dont elle ne comprend pas la mentalité. Son mari l’a dotée de qualité de « maîtresse de maison » dont elle se sent très dépourvue, elle qui n’aime que lire et dessiner.

Emerveillement : tout la fascine dans ce monde oriental qu’elle découvre. Visages, attitudes, couleurs, atmosphère. Paul Veysseyre possède un house-boat avec lequel ils font de longues excursions sur le Yang Tsé. Ce seront, dira-t-elle plus tard les moments les plus heureux de sa vie conjugale. (photo 4. Sur le house boat)

« Ah, pouvoir rendre cette vie colorée avec son crayon et ses pinceaux, avoir assez de talent pour fixer ce qui était pour elle une telle délectation ! Ces beaux mouvements amples, ces rythmes contrastés : celui du rameur, du lanceur de bambou, de l’enfant penché sur son bol de riz, de la femme lavant ses loques ; tout cela estompé par une frémissante enveloppe aérienne d’un bleu violacé, qui venait glacer les surfaces miroitantes… »

Sur les Eaux chinoises

En 1929 elle fait un séjour en montagne, la chaleur humide de Shanghai ayant éprouvé sa santé. Elle se rend à la station climatique de Linchow :

« Elle sentait qu’elle avait là à ses pieds « sa » Chine primitive, celle contemplée jadis sur le paravent de tante Louise […], un rivage avec des pins tordus, des rochers caressés par des vagues aux lignes curieusement enroulées, un temple accroché à des pentes que gravissait un cortège de pélerins, des pics barrés de nuages ; enfin dans un ciel somptueux et doré, un vol d’oiseaux… »

Amour passionné et désillusion : jalousie de l’un, maladresse de l’autre, l’incompréhension mutuelle s’installe peu à peu entre Elise et Paul, scènes violentes et retours de passion se succèdent.

Elise a créé à Shanghai un cours de dessin. Elle expose au Shanghai Art Club qui regroupe les artistes des diverses concessions. Les articles des critiques sont élogieux et elle reçoit des demandes pour faire le portrait de riches Chinoises de la ville. Mais, écrit-elle à une de ses belles-sœurs, « Paul ne veut pas. »

La rupture se produit en 1930. Elise quitte son mari et rentre seule en France, emmenant avec elle plus de deux cents huiles, pastels, dessins, lavis et gravures réalisés pendant son séjour en Chine.« Il lui semblait parfois n’avoir besoin d’aucune autre chose que la libre possession d’elle-même, de n’être entravée par aucun lien[…] ; peut-être était-elle une de ces créatures qui sont destinées à envier la stabilité et ne la trouve jamais, auxquelles seule la création artistique est indispensable ? »

Carrière et indépendance

1930 -1936 : Charleville, Aurillac, Lyon

Elise Rieuf reprend son métier d’enseignante tout en continuant à peindre.

Un Journal rédigé pendant les premières années du retour en France et retrouvé récemment montre son désarroi. Elle vit un divorce humiliant. Elle a quitté le domicile conjugal – ce qui à l’époque tombe sous le coup de la loi – et tous les torts lui sont attribués. Elle oscille entre désespoir, volonté de surmonter la douloureuse passion que lui inspire encore son mari et désir de se donner à son art

L’art, je suis faite pour lui, je dois concentrer toutes mes pensées sur ce point, organiser ma vie uniquement dans ce but. Je suis à un tournant dangereux. Je dois construire dès maintenant toute ma vie future, bien m’orienter, prévoir, aller dans un sens précis et continu.

Paul – comment le faire comprendre aux autres sans le dénaturer, comment le simplifier, faire comprendre ses contradictions, ses extrêmes dans le bien et le mal. Moi-même qui l’ait si douloureusement, si passionnément étudié, l’ai-je compris ? Parce qu’il avait tant de pouvoir sur moi, ai-je vu juste ?

La première fois que je l’ai vu ! Cette auto que j’attendais, cette petite auto verte sur la route qui m’apportait tant de souffrances, mon destin qui se précipitait vers moi par cet après-midi lumineux d’août. Si l’on savait !… L’auto nous a dépassés, elle s’est arrêtée, il est descendu, pantalon blanc, feutre gris, veston de sport gris. Quelle expression ! Une lumière, un regard doré brillant, doux, effroyablement doux, ce teint mat et lisse, cette bouche aux courbes enfantines et toute l’allure très jeune, très droite, la tête découverte, le beau front net, les cheveux noirs ondés rejetés en arrière. Beauté douce et mâle qui m’a éblouie, qui m’a envahie jusqu’au tréfonds. J’ai parlé, mais je ne savais déjà plus ce que je disais. Cette lumière, cette chaleur qui se dégageait de cette figure étrange, oui étrange, plus étrange que belle, plus captivante que régulière, comme elle me comblait, comme j’aurais voulu seulement m’en pénétrer et oublier tout le reste, déjà ! Sa voix douce, enfantine, puérile dans certaine prononciation de mot, et cependant lente et ferme, sans précipitation, une voix d’enfant mais maîtrisée par une dure volonté d’homme. Que de contrastes dans tout cet aspect physique. Que de choses j’aurai dû y voir du premier coup ! Mais déjà je n’étais plus libre, prise, prise à jamais… non j’espère pas « à jamais » sans beaucoup y croire…

Plus tard j’ai pu observer les mains, fines, nerveuses, très belles, les pieds petits – et les jambes un peu grêles ; le torse assez large, bombé, le dos très droit, trop même, donnant comme une légère raideur voulue, les hanches minces et gracieuses d’un adolescent, et le cou… quoi de plus beau que ce cou, cou de femme robuste, rond, poli, s’attachant à la tête par une ligne admirable, appelant le toucher, le baiser.

. Si je supporte vaillamment la solitude totale dans laquelle je vis en ce moment, sans défaillance, sans appel au secours (famille, amitié, amour), si la médiocrité de ma vie matérielle ne m’atteint pas, si je surmonte regrets, dégoûts, pauvreté de l’ambiance, incompréhension, et si je garde une certaine sérénité intérieure, si, malgré les crises de cafard, c’est encore la joie de la liberté et de la possession de moi-même qui triomphent, je pourrai prendre un peu plus de confiance en moi et envisager l’avenir avec ardeur.

Ce n’est qu’en août 33 – elle a 36 ans – qu’Elise se détache définitivement de Paul. Il est venu la retrouver à Lyon. Elle hésite, à nouveau déchirée, puis accepte de passer quelques jours avec lui en Belgique. Après quelques heures d’ivresse, elle comprend qu’ils ne pourront jamais vivre heureux ensemble et écrit le mot fin à cette phase de sa vie.

1937 – 1940 : Saint-Cloud – Sèvres 1941- 1960 : Paris

La vie d’Elise Rieuf se partage entre son métier, auquel elle doit son indépendance, la peinture et l’écriture. En 1941, elle s’installe rue du Ranelagh. Ses thèmes d’inspiration favoris sont les voyages, l’Auvergne et les portraits.

Les voyages :

Ils la mèneront à travers l’Europe : Norvège, Hollande, Grande Bretagne, Grèce, Irlande, Italie. Ils nous vaudront de précieuses aquarelles empreintes de l’atmosphère particulière à chacun de ces pays : vives couleurs des façades néerlandaises, brume de chaleur sur San Giminiano, souffle du vent maritime sur la Tamise… (photo 7 San Giminiano)

L’Auvergne

Lointains bleutés, villages aux toits de lauzes, visages austères lui inspirent huiles, pastels et lavis. (photo 8 La Tour des Mercoeur)

Les portraits

Dans son atelier ou au cours de ses pérégrinations, la fascination qu’exercent sur elle les visages inspirera à Elise Rieuf ses meilleures œuvres. Elle utilisera largement la technique du pastel, mais aussi l’huile, l’aquarelle et le lavis. (photo 9 Couronne de tresse ou 1944)

La ressemblance à laquelle doit viser un véritable artiste n’est que la résultante d’autres réussites dans un ordre de valeur plus élevé. Il cherche d’abord la structure d’une tête, son caractère, et ceci a plus d’importance que la copie adroite des traits. […] Il y ajoute le modelé qui donne les nuances expressives d’une physionomie et tous les charmes qui viennent de l’éclairage. Le grand portraitiste est forcément un exécutant de haute qualité, mais surtout un observateur pénétrant, sachant sacrifier le secondaire à l’essentiel. […] Il faut qu’il arrive au point où son œil aidé par son esprit constructif évalue et compare, élague et concentre, tandis que ses doigts exécutent dans le même temps. […] Plus l’observation du peintre sera sensible, large et pénétrante et plus ce qu’il rendra sera révélation de la vie morale. On peut dire que le portraitiste arrive à la plus haute ressemblance par surcroît.

1960 – 1987 Les années aixoises

Elise Rieuf prend sa retraite à Aix-en-Provence. Entourée d’un cénacle d’amis épris comme elle de littérature, de peinture et de musique, elle passe des années très heureuses, écrivant, peignant et – tant que sa santé le lui permettra – voyageant.

Entre 1982 et 1987 elle écrit à son neveu Charles Rieuf cinq lettres, sorte de testament artistique du plus grand intérêt. Elles traitent du dessin, des valeurs, de la couleur, de la composition, du style, de l’esquisse, de l’influence de la photo sur le portrait, de ses maîtres préférés.

La recherche du volume dans l’espace tient aux ombres et aux lumières et la couleur doit s’y ajouter sans les détruire. Elle éclate surtout dans les demi-teintes ; la lumière intense la détruit et l’ombre l’altère…

D’abord la forme, le volume dans l’espace, grâce aux valeurs, et puis, si l’on est coloriste : le charme incomparable de l’harmonie des tons…

Le musée municipal Elise Rieuf

Elise Rieuf passe les dernières années de sa vie à la maison de retraite de Massiac. Elle décède en 1990. Elle a légué à Charles Rieuf son œuvre peint rassemblé à Aix-en-Provence et à Massiac. Charles Rieuf fait don à la ville de Massiac de 170 huiles, pastels, aquarelles et dessins. Trois ans plus tard le premier secrétaire de l’ambassade de Chine, M.Zhu Quishan et le docteur Saintigny, maire de Massiac, inaugurent le musée municipal Elise Rieuf.

Expositions

1997 : Paris : Exposition Elise Rieuf, M.J.Carpentier, C.Musson à la Maison de l’Auvergne, rue de Rivoli. Une semaine, 500 visiteurs.

1998 : Clermont-Ferrand : « Une Ecole de femmes au XX° siècle » Hôtel du département. Huit semaines, 6000 visiteurs.

2001 : Bruxelles : Même exposition programmée au Parlement européen. L’exposition est annulée au dernier moment à cause du 11 septembre.

2010 : Shanghai Musée Xuhui : « Elise Rieuf. La période chinoise » à l’occasion de l’Exposition universelle, sous l’égide de J.P.Raffarin.

Saint-Flour : « Passion Carpentier. Maître et disciples. » à la Halle aux Bleds. 2 mois et demi, 30000 visiteurs.

Publications

« Une Ecole de femmes au XX° siècle » par Marion Boyer. Ed.  Un, deux…quatre

« Paris trait pour trait » par Marion Boyer. Ed.  Un, deux…quatre

Catalogue de l’exposition « Elise Rieuf. La période chinoise » par C. et S. Rieuf

Catalogue de l’exposition « Passion Carpentier » par C. et S. Rieuf